La preuve de la faute grave
- 17 juin 2015
- pierre-hugues poinsignon
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Le licenciement pour faute grave est le licenciement contentieux par excellence, le cas « classique » d’un procès au conseil de prud’hommes.
La loi ne définit pas la faute grave, mais en définit, indirectement, les conséquences (perte de l’indemnité de préavis et de l’indemnité de licenciement).
C’est la Cour de cassation qui définit la faute grave: c’est celle qui est d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée du préavis (Soc. 26 février 1991; Soc. 27 septembre 2007).
Cependant, contrairement à d’autres motifs de licenciement comme la cause réelle et sérieuse (appelée parfois « faute simple »), c’est à l’employeur et à lui seul de démontrer la réalité de la faute grave (Soc. 9 octobre 2001), sachant que le doute profite au salarié (art. L1235-1 du Code du travail).
Compte tenu des enjeux financiers (en cas de condamnation, l’employeur doit payer le préavis, l’indemnité de licenciement et des dommages et intérêts) mais aussi moraux (le licenciement pour faute grave est l’expression la plus visible du pouvoir disciplinaire de l’employeur et, le plus souvent, la faute grave sous-tend une faute morale, voire pénale, reprochée au salarié), un employeur aura tendance à utiliser tous les moyens possibles pour prouver la faute grave contenue dans la lettre de licenciement.
Que peut-il faire ? Comment le salarié peut il contrer les moyens de preuve utilisés par le salarié ?
Si la preuve est libre devant le conseil de prud’hommes (Soc. 10 novembre 2010), l’employeur doit tout de même respecter les libertés individuelles (droit à la vie privée notamment, dont le secret des correspondances), sans oublier la bonne foi, principe dont le respect interdit les procédés déloyaux ou frauduleux.
Les différents moyens de preuve utilisables par l’employeur sont les suivants :
– vidéosurveillance sur le lieu de travail : à condition de déclarer le système à la CNIL, d’informer le Comité d’entreprise et les salariés concernés. Les salariés doivent aussi être informés de la possibilité du contrôle de leur activité professionnelle (Soc. 10 janvier 2012). Dans les parties de l’entreprise qui ne sont pas des lieux de travail (ex. entrepôt), ces conditions ne sont pas nécessaires (Soc. 19 avril 2005)
– enregistrement sonore/video : irrecevable si réalisé à l’insu du salarié (Soc. 23 juin 2010)
-message laissé sur un téléphone : utilisable par l’employeur s’il a été laissé, pendant le temps de travail et sur le lieu de travail, sur un téléphone professionnel et est en rapport avec l’activité professionnelle (Soc. 28 septembre 2011)
– filature, y compris par un détective privé : irrecevable, à cause de l’atteinte à la vie privée qu’elle implique nécessairement (Soc. 22 mai 1195). Mais la surveillance de l’activité du salarié par d’autres salarié est licite, si l’employeur n’utilise pas de stratagème (Soc. 19 novembre 2014)
– attestations, constats d’huissier : recevables si faits dans les formes légales
– système de géolocalisation (GPS) : il faut une déclaration préalable à la CNIL et informer les salariés concernés et les représentants du personnel.Le contrôle de l’activité du salarié via le GPS n’est possible que s’il n’existe pas d’autre moyen de contrôle. Il est inutilisable si le salarié dispose d’une liberté dans l’organisation de son travail (Soc. 17 décembre 2014).
– les courriers « papier »: l’employeur peut les ouvrir, hors la présence du salarié, sauf s’ils sont clairement identifiés comme personnels (Soc. 11 juillet 2012). De même que les documents de l’entreprise (ex. une enveloppe portant le logo de l’entreprise, Soc. 4 juillet 2012)
– l’utilisation d’internet : la jurisprudence sur l’utilisation du traçage informatique (enregistrer les adresses des sites consultés) n’est pas encore fixée. Cependant on peut penser que le traçage informatique sera soumis à des conditions similaires à celles en vigueur pour la géolocalisation.
– les fichiers informatiques : comme les courriers « papier », ils sont présumés professionnels (et donc consultables à tout moment par l’employeur) sauf s’ils sont clairement identifiés comme personnels, sachant que la seule mention du prénom du salarié ne suffit pas (Soc. 8 décembre 2009), ni l’appellation « Mes documents » (Soc. 10 mai 2012). Attention : une clé USB personnelle est présumée professionnelle quand elle connectée à l’ordinateur de l’entreprise, sauf si son contenu est identifié comme personnel (Soc. 12 février 2013)
– mails : même régime que les fichiers informatiques (Soc. 15 décembre 2010). Le flux de messages électroniques peut être contrôlé, mais seulement pour la période postérieure à la déclaration du système de contrôle à la CNIL (Soc. 8 octobre 2014)
– SMS envoyés sur un téléphone professionnel : idem (Com. 10 février 2015)
– Propos tenus sur Facebook : utilisables par l’employeur si l’accès à la page Facebook n’est pas restreint aux « amis » ou « contacts » (1ère civ., 10 avril 2013)
Enfin, le règlement intérieur peut prévoir des conditions de contrôle plus restrictives, dont le non respect rend la preuve irrecevable (ex. contrôle des mails, même professionnels, en présence du salarié, Soc. 26 juin 2012).
Si le moyen de preuve est jugé irrecevable (ex. enregistrement d’une conversation à l’insu du salarié, utilisation d’un message clairement identifié comme personnel, …) il ne peut plus être utilisé par l’employeur pour justifier le licenciement pour faute grave.
Si l’employeur n’a pas d’autre moyen de preuve que celui qui est irrecevable, le licenciement sera jugé sans cause réelle et sérieuse. Il est donc crucial de vérifier dans quelle conditions l’employeur a collecté la ou les preuves des griefs contenus dans la lettre de licenciement.
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